#5 - Loin de Corpus Christi - ENSATT, 2013

LOIN DE CORPUS CHRISTI

Texte : Christophe Pellet 

Mise en scène : Anne Théron

Avec les étudiants de la 72ème promotion de l'ENSATT - Lyon

Création à l'Ensatt - Lyon

 

Répétitions : du 7 janvier au 16 février 2013

Représentations : du 18 février au 1 mars 2013

 

 


CINQUIEME SEMAINE : du 4 au 8 février 2013

 

©Pierre-Yves Poudou
©Pierre-Yves Poudou

 

L’objet continue à se poser. L’époque de son émergence est derrière nous, nous assistons déjà à son affermissement. Déjà.

Lundi, j’arrive dans la salle et découvre la scénographie. C’est bien, très bien, et même si bien que finalement je ne sais que dire.

On rêve des espaces, on les imagine, puis ils sont là.

 

Filages son le lundi et le mercredi, interrompus le mardi parce que je dois filer à la scène nationale de Meylan où nous reprenons La Religieuse. Etrange de sauter d’un plateau à l’autre, d’une logique à l’autre. Mais même si je suis le nez collé à mes créations (et comme le disait Lacan avec son humour habituel, ce qui saute aux yeux aveugle…), je vois les convergences entre les objets qui s’égrènent au fil du temps. La principale étant justement celle qui m’échappe : quelque chose dans la syntaxe de la mise en scène, ce quelque chose qui raconte hors de ma volonté, qui évoque, qui suggère plutôt que de dire. J’erre comme une somnambule dans mes propres fictions.


 

©Pierre-Yves Poudou
©Pierre-Yves Poudou

 

Quoi qu’il en soit, c’est à nouveau le texte qui m’emporte cette semaine. J’ai beau revenir sans cesse sur le son, la lumière et la vidéo, c’est toujours le texte le nerf de la guerre. Le texte comme livret, l’interprétation à son service.

Guillaume, qui supervise Antoine, les hommes des micros. Ils ont compris qu’il ne s’agissait pas de volume, mais de son et de présence. Je ne leur ai pas fait de cadeau, 12 HF d’un coup. Des micros au service d’une prosodie. 


 

©Pierre-Yves Poudou
©Pierre-Yves Poudou

 

J’avais demandé à Liza, qui joue Norma, de réfléchir à une scansion pour la scène où elle est avec Moritz, une scène que je sais aujourd’hui essentielle. Liza me fait effectivement une proposition, scandée, assenée. La voix de Liza… rauque, cassée, qui racle au plus profond… Le jour où Liza contrôlera complètement sa voix, elle sera une comédienne exceptionnelle.

Donc, sa proposition : même si l’ensemble manque encore de précision et de virtuosité, je suis en état de choc.

« L’anarchie, seule. La seule voie possible.

L’anarchie et la beauté. »

Les mots résonnent.

Ce sont les mots de Pellet et soudain je songe à Anna Akhmatova.

Mandelstam… ou même Pasternak…

A la parole de résistance, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne.

 

Tout à coup, moi qui ai l’âge des parents de ces jeunes gens avec qui je travaille, je suis catapultée dans ma propre mémoire, vers une utopie et peut-être une amertume que je croyais périmées. J’ai été saisie, comme on peut être brutalement saisi par le froid sur le trottoir à la sortie d’un lieu chauffé, par les mots de Norma, aux côtés de Moritz. Sa dénonciation du système capitaliste, sa rage jamais éteinte, tout ce dont je pourrais ricaner, à présent que Liza a compris que les mots sont parfois des galets qui tombent dans la boue, tous ces mots m’éclaboussent et s’impriment. Je ne ricane plus.

Pour revenir à la question que me posait Simone Amouyal, la semaine dernière, ce serait donc ça la raison qui m’a poussée vers ce texte, faire entendre une femme qui hurle que l’utopie fera toujours sens ? Que Saint Augustin avait tort, que nos royaumes ne sont pas que du sable ?…

 

Autre découverte, avoir su d’un coup que Brecht était gros, qu’il fallait travailler le poids et la masse pour le trouver.

 

La question de la nudité : deux images crues, une en début de spectacle, l’autre en clôture. Corps de Anne, puis de Anne et Norma, torse nu, lumière blême de la morgue sur le corps enfermé dans une cage de verre. Je n’imaginais pas que ce serait si difficile pour les actrices d’entrer dans ces images. Ce ne sont pas leurs corps ni même leurs seins que je vois, mais la chair devenue viande, exposée à la morgue.

Image obscène qui déclenche le malaise.

Ce malaise que je cherchais pour clôturer le mélodrame.


 

 

©Pierre-Yves Poudou
©Pierre-Yves Poudou

 

J’ai du plaisir sur tous les rôles. Pas un jour sans une soudaine jubilation parce que tout à coup, j’entends. Le son est juste, « tout a un sens maintenant » comme dirait le personnage de Anne. Le son fait sens, je crois que les comédiens commencent à comprendre.

 

En réalité, j’ai du plaisir partout. Quand je vois Sarah, sa fragilité androgyne, pâlir en proposant ses lumières. Ou Estelle qui réussit son fade sous l’oreille de Julien. Ou Bertrand qui installe des plantes pour organiser l’espace du couloir vitré ou Charles qui ne pourra s’empêcher jusqu’à la première de tenter une ultime expérience à l’image…

Belle promotion… Je croise les doigts pour qu’ils trouvent du travail au sortir de cette école, et que le temps n’anéantisse pas leur désir.

 

La tristesse monte. C’est bon signe. Signe que la création tire à sa fin, que je vais bientôt être congédiée. D’ici une semaine, ce seront les représentations, je serai là uniquement pour vérifier la position de la barre.

Tant mieux, je commence à avoir envie de rentrer chez moi.

 

Samedi, des bouquinistes le long du quai de Saône. Un livre, en évidence : Le Docteur Jivago, de Pasternak. Ma main se tend, je l’achète. J’entends Anne demander à Johann : Lara. Comme l’héroïne de Pasternak ?

J’aime les signes. Que ce livre s’offre à moi alors que Pellet m’a fait revenir vers la littérature russe.

 

Philippe Puigserver est mort cette semaine. Arrêt du cœur.

Je suis sonnée.

Philippe Puigserver, homme de théâtre.

Je n’ai pas encore compris qu’il était mort. Lundi, son enterrement. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Philippe ne devrait pas être mort. Continuons à travailler, c’est ce qu’il aurait fait. Je crois.

 

Carpe diem.

 

 

 

Billet de Anne Théron

Février 2013

ENSATT

 

 


 

 


REPETITIONS : du 7 janvier au 16 février 2013

 

Le Blog des créations : L'équipe artistique poste chaque semaine des billets, des photos... pour dire où en est la création, les avancées, les tentatives, les doutes...

 

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